Je t’aime donc je te veux ?

Je t’aime donc je te veux ?

Lu 1893 fois
Vague à l'âme, Amour

04 Jun 21

Aimer ou désirer ? On a tendance à confondre les deux. L’amour est tellement plus vénérable, tellement moins vénal. C’est pourtant la même chose, question de perspective.

L’amour donnerait l’impression d’un don. De quelque chose que l’on offrirait à l’autre. Il a cette connotation de cadeau, pour l’autre. C’est désintéressé, c’est pur.
Désirer au contraire évoque une idée de capture, de prendre quelque chose à l’autre :  « Aspirer consciemment à quelque chose dont la possession ou la réalisation comble un besoin de l'âme, de l'esprit ou du corps. » . Mais aimer aussi, ce n’est en réalité que : « Éprouver, par affinité naturelle ou élective, une forte attirance pour quelqu'un ou quelque chose ».
« Possession, réalisation », « Attirance » … ça va tellement bien ensemble…
Soyons clairs à la fin c’est la même chose : cet amour que je te porte creuse en moi un manque qui s’exprime en désir. C’est l’éclairage qui est différent. L’amour dirige la lumière sur l’autre, alors que le désir ramène le beau sentiment à notre propre cupidité. L’amour est donc une dynamique égocentrique. Ne serait-il même pas plus honnête de dire « prendre de l’amour » alors qu’on pense « donner de l’amour »  😁 ?

Quand l’amour me traverse, il réveille en moi quelque chose de sensible, fragile. Je veux essayer de traiter, réduire cette fracture. Je vais chercher à guérir ma blessure essentielle. Celle qui s’ouvre à nouveau au contact de l’autre. Alors je te désire. Je veux prendre de l’amour pour calmer cette morsure qui me démange. Et dans la folie de mon désir, je veux te posséder. Te tenir entre mes bras, entre mes jambes, dans mes mains. Suspendre ce moment qui me fait me sentir si bien, afin que celui-ci m’appartienne, que j’en soi maître, que je puisse en faire ce que je veux.

« Je t’aime »  est donc l’expression d’un sentiment.
« Je te désire »  est l’expression du manque.
« Je te veux » l’expression de la solution à mettre en place pour combler ce manque.
C’est un procédé simultané.

Les hispanophones ont fait simple, un seul mot couvre les trois : « Te quiero ».

On peut toujours essayer d’aimer de manière désintéressée, comme nous le suggèrerait cette très belle phrase d’Andrés Castuera-Micher :
« Je suis en train de te tisser des ailes.
Je sais que quand j’aurai fini, tu t’en iras.
Mais je ne supporte pas de te voir sans voler » .

Mais combien de temps est-on capable, pétri dans notre condition d’humain, de supporter ce manque qui nous consume si nous ne consommons pas son antidote, si nous ne nous laissons pas envahir par le désir, si nous ne tentons pas de posséder ne serait-ce qu’un peu de l’autre pour soulager et calmer la brûlure de ce vide béant et grisant que provoque en nous l’amour.

Je t’aime. Je te désire. Je te veux.

2 commentaires

YJL

06 Jun 2021

Post très intéressant, merci.

Je vois une conjonction mais aussi une différence entre « je t’aime » et « je te désire », si vous me le permettez.

Dans le premier cas, cela survient après un certain temps, passé le désir, parfois il n’y en a même pas au début, et ce dernier arrive plus tard, sans s’annoncer. Tout comme le sentiment amoureux peut gronder, grandir, sans explication logique : les pensées envahissantes, la curiosité, l’attachement. Mais pourquoi suis-je en train de penser à elle-lui ?

Dans le deuxième cas, le désir, c’est comme une force, une main qui nous pousse dans le dos : « vas-y ». Merveille de la nature qui nous ôte les inhibitions, lève nos interdits.

Y voir un aspect de conquête, de possession ? Pas complètement d’accord. On ne possède pas l’autre, qui, si elle-il se donne, s’ouvre, s’abandonne pendant... l’amour, ce n’est jamais que pour, littéralement, « se reprendre », ensuite.

Par contre d’accord à 100% dans les cas où les deux se conjuguent. C’est même là que commencent les ennuis si il y a un déséquilibre entre les partenaires. L’un ressentira désir + amour alors que l’autre, « seulement » le désir (ce qui, soyons francs, n’est déjà pas mal quand on sait à quel point les gens peuvent être blasés, las).
Continuez vos billets doux, que je lis toujours avec grand intérêt.

Sophie

06 Jun 2021

Extra,
Je suis tout à fait d’accord, merci pour votre commentaire !
D’ailleurs vous avez bien mis le doigt sur mon tourment du moment : « sans explication logique », « déséquilibre entre les partenaires » sont des éléments qui nous confondent et génèrent cette angoisse qui nous pousse à nous rattraper aux branches, à “posséder”, de manière symbolique afin de re-sentir un peu de maîtrise...
Vous avez raison de distinguer, et je reviens sur la spécificité du « je t'aime » auquel je fais référence ici : Il s'agit de l'amour-passion, rageur et colérique, style « Ancien Testament ».
Il est autre que celui qui laisse nos sens grands ouverts, échange nos intimes en les laissant couler avec bienveillance. Il n'y a là plus de don qui suppose un transfert de propriété, tout est béant, offert, intensément doux...

Un mot à dire ?

Recevoir par email les réponses à ce fil de discussion    

Anti-Spam : Inscrire 1893 dans la case